vendredi 30 septembre 2011

Marathon de Berlin



Histoire d’une déception


Avec cette poignée de grammes qui le fait passer sous la barre des 50 kilos, Hamid Belhaj, athlète Brooks, Champion de France vétéran de marathon et recordman des 20km sur route en 1h00’09, semble aussi frêle que les colonnes de la porte de Brandebourg sont imposantes.
Ce marathon de Berlin 2011, il le prépare depuis 2 ans avec, au bout de cette dernière ligne droite qui brûle les jambes et les poumons de tout marathonien, le rêve d’une vie de coureur, les Jeux Olympiques de Londres. Les temps imposés, 2h10mn00, ne sont pas de tout repos, mais qu’importe, Hamid est prêt, il n’en peut plus : « je sens que je suis au bord de la rupture, je n’aurais pas pu encaisser une semaine de plus d’entraînement, c’est de la folie ce que je me suis envoyé… 215 bornes par semaine en moyenne » m ‘avoue-t-il.
Ses bras peinent à ouvrir la porte massive de la chambre d’hôtel tandis que sa tête est ailleurs, probablement déjà au bord de la Tamise… Il a tout donné, il est vidé mais sa tronche est gonflée à bloc, comme ses quadriceps et tout son corps    dont la peau transparente laisse entrevoir les muscles et tendons assoiffés de victoire.
2 jours plus tôt, lorsque nous partageons un dîner bien arrosé dans une taverne berlinoise avec le staff Brooks Europe, tous s’étonnent de la voir dévorer 300 grammes de viande rouge saignante et un demi kilo de purée maison qui baigne dans un jus bien gras : « on s’en fout, le boulot est fait, la graisse n’a pas d’emprise sur moi, elle n’a rien pour s’accrocher, elle ne fait que glisser, ne vous inquiétez pas… » sourit-il. Hamid a l’appétit d’un vainqueur.
Le sommeil, d’une lourdeur implacable, l’assomme qu’il vient à peine de poser sa tête sur l’oreiller : « tu peux faire péter un feu d’artifice dans la chambre, je ne me réveillerai pas… »
A 5 heures pétantes, les chants corses, qui lui rappellent ceux de son bled perdu au milieu du désert marocain, résonnent dans la chambre et, en une fraction de seconde, il bondit du lit. Son dossard est épinglé depuis la veille et ses temps de passage coulent dans ses veines depuis des mois. Nul besoin de montre pour la course, rien qui ne vienne perturber ses sensations.
Il me semble si frêle qu’un simple bracelet le ferait pencher mais si fort dans sa tête, et dans ses jambes, qu’il pourrait faire tomber ce qui reste du mur berlinois orné de grafitis frôlant parfois.
Il est calme, serein, mais bouillonne de l’intérieur, comme un boxeur part au combat.
Le temps d’une accolade avec le mythe Haïlé, quelques minutes avant le coup de feu libérateur pour les plus de 45000 coureurs, et c’est parti, vite, très vite.
Je les croise au huitième puis court jusqu’au semi dans les rues de Berlin interdites à tout véhicule à moteur. Guebré est sous l’heure, Hamid passe en 1H04’50, dans les temps de sélection, 4mn après Haile et sa horde de lièvres. Je lui tends un fond de boisson énergétique qu’il absorbe en une fraction de seconde. Le gel attendra le 35ème, à mon avis trop tardivement, compte tenu du petit déjeuner frugal du matin…

Au 32ème, en l’espace de quelques mètres, il sent son rêve d’enfant s’envoler. Tandis que le roi Haïlé Guebre jette l’éponge au km 35, Hamid me lance, le temps de lui donner ce gel qui arrive bien trop tard : « tant pis, je ne comprends pas, ce n’est pas mon jour, mais je continue jusqu’à l’arrivée, je mouillerai le maillot Brooks jusque sous les portes, désolé… » Hamid a cette grandeur d’âme, il est déçu pour les autres avant de l’être pour lui.

A l’arrivée, malgré cette immense déception, il à la délicatesse de laisser passer la première femme, et en termine en 2h19, à 5mn de son meilleur chronomètre, et 9 minutes du temps requis pour Londres 2012.

Nous nous retrouvons sous les tentes où, l’espace d’une fraction de seconde, une larme qu’il contient rapidement tente de s’échapper.
« Je suis déçu, mais pas abattu… Ce n’est pas normal, mes jambes sont nickel alors que je devrais être par terre, en vrac… Ce n’est pas grave, je vais remettre ça à Dubai, en janvier prochain. Mon corps m’a laché au 32ème, il va comprendre sa douleur, je vais te le massacrer…» me lance-t-il. Mais après ces quelques minutes d’explosion, le temps est à l’analyse, et nous tombons rapidement d’accord sur le manque d’énergie évident lié à l’avant course (veille + petit déjeuner), mais aussi durant la course, associé à une préparation un peu courte.

Le lendemain, de retour au bureau, nous repartons pour une séance au vert, avec le staff Brooks, avec 5 fois 3 minutes à 18km/h… Hamid a retrouvé sourire, envie et motivation pour le prochain marathon.

« Berlin appartient au passé, c’est une grande course, elle m’a émerveillé et bien entendu déçu, je me dirige désormais vers Dubaï, ça c’est l’avenir… »

Se relever, toujours et encore, n’est-ce pas la qualité principale des sportifs ?

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